Monday, February 10, 2014

Meditation before the Remains of Thais

Méditation devant la dépouille de Thaïs

(extrait; prose poétique composée vers 1907)

Entourée de palmes tressées, fendues et jaunies par les âges, pressant entre ses mains d’antiques fleurs semblables à un petit bouquet de lavande, Thaïs la courtisane étend sous la vitrine du musée ses jambes sèches, couleur de bois de rose. Deux délicates chaussures d’argent mou restent pendues au bout de ses os cramoisis. Renversé et pourtant dressé, le visage vidé, où sont collés des cheveux, épouvante. Sous le menton, un frêle collier de verre multicolore se relâche comme la corde au cou d’un supplicié.

Ainsi roide, décharnée, loqueteuse, cette enivrée d’amour qui, autrefois, vivante et dansante, portait tout le ciel égyptien sur sa poitrine comme ses modestes compagnes attachaient à leur col un scarabée de pâte bleue aux ailes éployées, ressemble à quelque vagabonde qu’on a ramassée dans la rue et jetée sur un banc d’hôpital.

En vain l’écharpe teinte dans la pourpre des rois roule autour de ce crâne et de ce cadavre ses flots tumultueux qui font songer aux vagues du Cydnus reflétant la voile rouge de Cléopâtre: la mort a fait de Thaïs-la-Voluptueuse une mendiante fatidique, acariâtre et grimaçante.

Près d’elle, le moine Sérapion, qui l’a aimée et redoutée, n’offre plus que l’aspect d’un branchage desséché, mais une ceinture aiguë et des anneaux de fer impriment encore à son squelette les froissements de la pénitence. Voici donc, réunies sous cette vitrine, la Chasteté et la Volupté, toutes deux décomposées, tragiques et narquoises! Mais tandis que l’anachorète Sérapion nous étonne et nous irrite comme un forcené qui ne veut rien entendre et qui, sans apaisement, perpétue son tourment acharné jusque dans le néant frivole d’un cube de verre, la plaintive courtisane émeut par son abandon sans recours et son patient reproche: pauvre Thaïs, vivante elle n’eût accepté aucun des gestes que la faiblesse de la mort lui impose! Ses jambes adroites, ses mains, son visage, dont elle jouait avec une précise agilité, comme jouent du luth d’experts musiciens, ont l’indigence de l’instrument rompu d’où s’est envolée la mélodie.

En l’arrachant du sol antique, en brisant son cercueil, on a trahi sa profonde confiance, car sans doute, mourante et lassée de la vie, eut-elle faim de la terre comme elle avait eu soif de l’azur égyptien, dans les jours étincelants où elle habitait sa maison de chaux, contre laquelle, vers midi, un groupe de jeunes palmiers jetait son triangle d’ombre noire et de fraîcheur.
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Aujourd’hui, vous voilà sous mes yeux, longue morte aux tons de rose fanée. Votre squelette, couleur de santal, semble un bois aussi vénérable que celui des rosaires bénits.
Exemplaire, sanctifiée, puissante, vous reposez sur des palmes tressées que déposèrent dans votre tombeau, il y a deux mille ans, des religieuses innocentes qu’édifiait votre repentir; mais je ne vois que le petit collier de verre multicolore, humble joug de votre vie frivole, et votre long voile de pourpre qui perpétue autour de vous les flots soulevés de votre sang passionné.

Meditation before the Remains of Thais

(excerpt; composed around 1907)

Surrounded by woven palms, split and yellowed by age, pressing in her hands antique flowers resembling a small lavender bouquet, Thais the courtesan stretches under the museum’s glass panel her dry, rosewood colored legs. Two delicate slippers of soft silver remain suspended at the tip of her crimson bones. Thrown back and yet upright, the emptied face, with hair still clinging, horrifies. Under the chin, a frail multicolored glass necklace slackens like the rope around a tortured victim’s neck.

Rigid, ragged, fleshless, this love-intoxicated one who, living and dancing in the past, carried the whole Egyptian sky on her breast, as her modest companions fastened around their necks a blue paste scarab with outspread wings, now resembles some vagabond, picked up out of the street and thrown onto a hospital bench.

In vain does the scarf dyed in royal purple roll around this skull and corpse in tumultuous waves, recalling the waves of Cydnus that reflected Cleopatra’s crimson sails: death has transformed Thais-the-Voluptuous into a fateful, bitter, grimacing beggar.

Close to her, the monk Serapion, who loved and feared her, offers nothing more than the appearance of a dried twig, though a sharp belt and metal rings still impress the creases of penitence upon his skeleton. Here, then, under the same window, Chastety and Voluptuousness have been gathered together, both decomposed, tragic, and mocking. But while the anchorete Serapion startles and irritates us like a madman who will hear nothing and who relentlessly perpetuates his torment, even down into the frivolous void of a glass cube, the plaintive courtesan moves us through her helpless abandon and her patient reproach. Poor Thais. Alive, she would have accepted none of the gestures that the weakness of death imposes upon her! Her agile legs, her hands and face, which she played with precision and skill like expert musicians their luth, reveal the indigence of a broken instrument from which the melody has flown.

In tearing her away from the antique soil, in breaking her coffin, we have betrayed her profound trust, for, dying and tired of life, no doubt she hungered for the earth as she had thirsted after the Egyptian azure, in the dazzling days when she inhabited her whitewashed house, on which, toward noon, a group of young palms would cast a triangle of cool black shade.

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Today, here you are before my eyes, a corpse stretched out in tones of wilted roses. In my eyes, your sandalwood-colored skeleton is as venerable as the wood of blessed rosaries.

Exemplary, sanctified, powerful, you rest upon woven palms that were laid in your tomb, two thousand years ago, by innocent nuns whom your repentence edified; but I see only the small multicolored glass beads of your necklace, humble yoke of your frivolous life, and your long purple veil perpetuating around you the heaving waves of your passionate blood.

(this translation by Catherine Perry was published in Verse 14: 1 [Spring 1997]: 55-56)

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