Friday, February 14, 2014

On est bon si l'on est tranquille,
Content, indifférent, distrait;
Mais si, plié sur son secret, l'esprit sent sa force servile,
Qui dira l'ardeur, la bonté,
D'un instant de méchanceté?


It is good if it is quiet,
Happy, indifferent, distracted;
But if bent on his secret mind feels his servile force
Who can tell the enthusiasm, kindness,

In a moment of wickedness?

Thursday, February 13, 2014

C'est après les moments les plus bouleversés
De l'étroite union acharnée et barbare,
Que, gisant côte à côte, et le front renversé,
Je ressens ce qui nous sépare!

Tous deux nous nous taisons, ne sachant pas comment,
Après cette fureur souhaitée et suprême.
Chacun de nous a pu, soudain et simplement,
Hélas! redevenir soi-même.

Vous êtes près de moi, je ne reconnais pas
Vos yeux qui me semblaient brûler sous mes paupières;
Comme un faible animal gorgé de son repas,

Comme un mort sculpté sur sa pierre.

Monday, February 10, 2014

DANSE - Les éblouissements

Quel miroitement de l'éther
Où vibre une chaude cadence!
Je t'offre les splendeurs de l'air,
0 Bacchus, fils de Jupiter,
Dieu passionné pour la danse!

Les oiseaux, d'un vol vif et dur,
- Flèches qu'un arc secret élance,
Caressent le front du jour pur,
Fondent dans les bains de l'azur,
Pâlissent dans la nue immense!

Sous les espaces arrondis,
La terre, bleuâtre fumée,
Par ses aromes attiédis
Soupire vers le paradis.
- Et toi mon âme, âme enflammée,

Dépasse aussi les arbres verts,
Déchire la molle buée,
Sois le parfum du ciel ouvert,.
La cymbale de l'univers

Et la danseuse des nuées!

L’Honneur de souffrir

VI

Ils ont inventé l’âme afin que l’on abaisse
Le corps, unique lieu de rêve et de raison,
Asile du désir, de l’image et des sons,
Et par qui tout est mort dès le moment qu’il cesse.

Ils nous imposent l’âme, afin que lâchement
On détourne les yeux du sol, et qu’on oublie,
Après l’injurieux ensevelissement,
Que sous le vin vivant tout est funèbre lie.
– Je ne commettrai pas envers votre bonté,
Envers votre grandeur, secrète mais charnelle,
Ô corps désagrégés, ô confuses prunelles,
La trahison de croire à votre éternité.
Je refuse l’espoir, l’altitude, les ailes,
Mais étrangère au monde et souhaitant le froid
De vos affreux tombeaux, trop bas et trop étroits,
J’affirme, en recherchant vos nuits vastes et vaines,
Qu’il n’est rien qui survive à la chaleur des veines !

VI

They invented the soul to lower
The body, sole place of dreams and reason,
Shelter of desire, images, and sounds,
Through which all is dead as soon as it ends.

They impose the soul, so that as cowards
We will avert our gaze from the ground and forget,
After the offensive burial,
That under the living wine all is funereal dregs.
– I will not commit, against your goodness,
Against your secret but carnal greatness,
O disintegrated bodies, o dissolved eyes,
The treason of believing in your eternity.
I refuse hope, loftiness, wings,
But a stranger to the world and wishing for the cold
Of your horrible, too low and too narrow tombs,
I affirm, while probing your vast, empty nights,
That nothing survives the warmth of the veins!

XII

Habitante éthérée et fixe des tombeaux,
Dont l’âme a soulevé les portes funéraires,
Je répands, dans ma juste et songeuse misère,
L’encens du noir séjour sur les clartés d’en haut.

Un livide univers m’enveloppe et m’étonne.
Dans un effort ardu, débile et monotone,
Mon trébuchant esprit s’efforce et se démet:
Je sens que tu es mort, et ne le sais jamais!

XII

Ethereal and resolute dweller of tombs,
Whose soul has lifted the funereal doors,
In my just and meditative misery, I cast
The incense from the black abode over the light above.

A livid universe surrounds and astounds me.
In an arduous, weak, and monotonous effort,
My stumbling spirit strives and struggles:
I sense that you are dead and yet I know it not!

LXIII

La femme, durée infinie,
Rêveuse d’éternels matins,
Dans la puissance de l’instinct
Veut créer.  Mais cette agonie

Plus tard, un jour, de son enfant,
Cette peur, ces sueurs, ces transes,
Ce mourant que rien ne défend,
En garde-t-elle l’ignorance?

Et toute mère, sans remords,
Triomphante et pourtant funèbre,
Voue une âme aux longues ténèbres,
Et met au monde un homme mort…

LXIII

Woman, infinite duration,
Dreamer of eternal morns,
In the power of instinct
Wants to create. But this agony

Later, one day, of her child,
This dread, this sweat, these trances,
This dying being with no defense,
Of all this can she remain ignorant?

Every mother, without remorse,
Triumphant and yet funereal,
Pledges a soul to the long night
And gives birth to a dead man…

Les Plaintes d’Ariane - L’Ombre des jours

Les Plaintes d’Ariane

Le vent qui fait tomber les prunes,
Les coings verts,
Qui fait vaciller la lune,
Le vent qui mène la mer,

Le vent qui rompt et qui saccage,
Le vent froid,
Qu’il vienne et qu’il fasse rage
Sur mon coeur en désarroi!

Qu’il vienne comme dans les feuilles
Le vent clair
Sur mon coeur, et qu’il le cueille
Mon coeur et son suc amer.

Ah! qu’elle vienne la tempête
Bond par bond,
Qu’elle prenne dans ma tête
Ma douleur qui tourne en rond.

Ah! qu’elle vienne, et qu’elle emporte
Se sauvant,
Mon coeur lourd comme une porte
Qui s’ouvre et bat dans le vent.

Qu’elle l’emporte et qu’elle en jette
Les morceaux
Vers la lune, à l’arbre, aux bêtes,
Dans l’air, dans l’ombre, dans l’eau,

Pour que plus rien ne me revienne
A jamais,
De mon âme et de la sienne
Que j’aimais…

Ariadne’s Lament

The wind that knocks down plums    And green pears,The wind that shakes the moon,
The wind that drives the sea,

The wind that breaks and lays waste,
The cold wind,
May it come and rage upon
My confused heart!

May it come as among leaves,
The clear wind,
Upon my heart, and may it pluck
My heart with its bitter sap.

Ah! may the tempest come
Leap by leap,
May it take from my head
The pain that goes round and round.

Ah! may it come and lift,
Taking off,
My heart heavy as a door
That opens and beats in the wind.

Let it take my heart and hurl
Its fragments
To the moon, the trees, the beasts,
In the air, the dark, the waters,

So that nothing returns to meEver again,
Of his soul and mine,
Which I loved…

Azur - Les Éblouissements

Azur

Comme un sublime fruit qu’on a de loin lancé,
La matinée avec son ineffable extase
Sur mon coeur enivré tombe, s’abat, s’écrase,
Et mon plaisir jaillit comme un lac insensé!

– O pulpe lumineuse et moite du ciel tendre,
Espace où mon regard se meurt de volupté,
O gisement sans fin et sans bord de l’été,
Azur qui sur l’azur vient reluire et s’étendre,

Coulez, roulez en moi, détournez dans mon corps
Tout ce qui n’est pas vous, prenez toute la place,
Déjà ce flot d’argent m’étouffe, me terrasse,
Je meurs, venez encor, azur! venez encor…

Azure

Like a sublime fruit, thrown from afar,
The morning icts with ineffable ecstasy
On my drunken heart falls, collapses, presses down,
And my pleasure surges like a crazy lake!

- O luminous and moist pulp of the tender sky, 
Space where my gaze dies of voluptuousness, 
O endless, unlimited realm of summer, 
Azure Azure is coming to shine and binds

Run flow through me, divert in my body
All that is not you, fill this space Entire,
The silver stream now stifles and conquers me,
I die, come again, Azure! come again ...

Meditation before the Remains of Thais

Méditation devant la dépouille de Thaïs

(extrait; prose poétique composée vers 1907)

Entourée de palmes tressées, fendues et jaunies par les âges, pressant entre ses mains d’antiques fleurs semblables à un petit bouquet de lavande, Thaïs la courtisane étend sous la vitrine du musée ses jambes sèches, couleur de bois de rose. Deux délicates chaussures d’argent mou restent pendues au bout de ses os cramoisis. Renversé et pourtant dressé, le visage vidé, où sont collés des cheveux, épouvante. Sous le menton, un frêle collier de verre multicolore se relâche comme la corde au cou d’un supplicié.

Ainsi roide, décharnée, loqueteuse, cette enivrée d’amour qui, autrefois, vivante et dansante, portait tout le ciel égyptien sur sa poitrine comme ses modestes compagnes attachaient à leur col un scarabée de pâte bleue aux ailes éployées, ressemble à quelque vagabonde qu’on a ramassée dans la rue et jetée sur un banc d’hôpital.

En vain l’écharpe teinte dans la pourpre des rois roule autour de ce crâne et de ce cadavre ses flots tumultueux qui font songer aux vagues du Cydnus reflétant la voile rouge de Cléopâtre: la mort a fait de Thaïs-la-Voluptueuse une mendiante fatidique, acariâtre et grimaçante.

Près d’elle, le moine Sérapion, qui l’a aimée et redoutée, n’offre plus que l’aspect d’un branchage desséché, mais une ceinture aiguë et des anneaux de fer impriment encore à son squelette les froissements de la pénitence. Voici donc, réunies sous cette vitrine, la Chasteté et la Volupté, toutes deux décomposées, tragiques et narquoises! Mais tandis que l’anachorète Sérapion nous étonne et nous irrite comme un forcené qui ne veut rien entendre et qui, sans apaisement, perpétue son tourment acharné jusque dans le néant frivole d’un cube de verre, la plaintive courtisane émeut par son abandon sans recours et son patient reproche: pauvre Thaïs, vivante elle n’eût accepté aucun des gestes que la faiblesse de la mort lui impose! Ses jambes adroites, ses mains, son visage, dont elle jouait avec une précise agilité, comme jouent du luth d’experts musiciens, ont l’indigence de l’instrument rompu d’où s’est envolée la mélodie.

En l’arrachant du sol antique, en brisant son cercueil, on a trahi sa profonde confiance, car sans doute, mourante et lassée de la vie, eut-elle faim de la terre comme elle avait eu soif de l’azur égyptien, dans les jours étincelants où elle habitait sa maison de chaux, contre laquelle, vers midi, un groupe de jeunes palmiers jetait son triangle d’ombre noire et de fraîcheur.
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Aujourd’hui, vous voilà sous mes yeux, longue morte aux tons de rose fanée. Votre squelette, couleur de santal, semble un bois aussi vénérable que celui des rosaires bénits.
Exemplaire, sanctifiée, puissante, vous reposez sur des palmes tressées que déposèrent dans votre tombeau, il y a deux mille ans, des religieuses innocentes qu’édifiait votre repentir; mais je ne vois que le petit collier de verre multicolore, humble joug de votre vie frivole, et votre long voile de pourpre qui perpétue autour de vous les flots soulevés de votre sang passionné.

Meditation before the Remains of Thais

(excerpt; composed around 1907)

Surrounded by woven palms, split and yellowed by age, pressing in her hands antique flowers resembling a small lavender bouquet, Thais the courtesan stretches under the museum’s glass panel her dry, rosewood colored legs. Two delicate slippers of soft silver remain suspended at the tip of her crimson bones. Thrown back and yet upright, the emptied face, with hair still clinging, horrifies. Under the chin, a frail multicolored glass necklace slackens like the rope around a tortured victim’s neck.

Rigid, ragged, fleshless, this love-intoxicated one who, living and dancing in the past, carried the whole Egyptian sky on her breast, as her modest companions fastened around their necks a blue paste scarab with outspread wings, now resembles some vagabond, picked up out of the street and thrown onto a hospital bench.

In vain does the scarf dyed in royal purple roll around this skull and corpse in tumultuous waves, recalling the waves of Cydnus that reflected Cleopatra’s crimson sails: death has transformed Thais-the-Voluptuous into a fateful, bitter, grimacing beggar.

Close to her, the monk Serapion, who loved and feared her, offers nothing more than the appearance of a dried twig, though a sharp belt and metal rings still impress the creases of penitence upon his skeleton. Here, then, under the same window, Chastety and Voluptuousness have been gathered together, both decomposed, tragic, and mocking. But while the anchorete Serapion startles and irritates us like a madman who will hear nothing and who relentlessly perpetuates his torment, even down into the frivolous void of a glass cube, the plaintive courtesan moves us through her helpless abandon and her patient reproach. Poor Thais. Alive, she would have accepted none of the gestures that the weakness of death imposes upon her! Her agile legs, her hands and face, which she played with precision and skill like expert musicians their luth, reveal the indigence of a broken instrument from which the melody has flown.

In tearing her away from the antique soil, in breaking her coffin, we have betrayed her profound trust, for, dying and tired of life, no doubt she hungered for the earth as she had thirsted after the Egyptian azure, in the dazzling days when she inhabited her whitewashed house, on which, toward noon, a group of young palms would cast a triangle of cool black shade.

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Today, here you are before my eyes, a corpse stretched out in tones of wilted roses. In my eyes, your sandalwood-colored skeleton is as venerable as the wood of blessed rosaries.

Exemplary, sanctified, powerful, you rest upon woven palms that were laid in your tomb, two thousand years ago, by innocent nuns whom your repentence edified; but I see only the small multicolored glass beads of your necklace, humble yoke of your frivolous life, and your long purple veil perpetuating around you the heaving waves of your passionate blood.

(this translation by Catherine Perry was published in Verse 14: 1 [Spring 1997]: 55-56)